2018/10/10

Des moires d'outrestombes


De Mathurin sauveur de fols, à Saint Jacques le bien nommé, que Théodomir exhuma…
Que de traces et de cheminements …
Un koan Zen énonce que le bois ignore tout de la cendre, ainsi que la cendre du bois …
Et, à travers les ruines de cette ancienne abbatiale, là, devant le plancher du studio à Larchant, j'ai devant les yeux la résolution entière de ce koan…

Devant ce plancher  en partie recouvert de cendre qui lui confère comme une atmosphère de circus , il me semble humant cette étrange épaisseur  y voir galoper ds chevaux …
De cavale, certes, en parait une, très très étrange, une sorte d'efflorescence terrestre avec une chevelure de plantes sauvages & de mousses ou de lichens ? …impossible à dire ni à cerner de cette bizarre silhouette dont le buste semble gainé d'un caraco noir,  évoquant l'Espagne & ses bustiers altiers …

Céline s'avance, Céline danse mais à peine, ses pieds humides laissent au sol les empreintes d'antiques incendies que l'orage avale …
Puis soudain elle s'écroule, elle s'écroule sans fin et toute sa danse n'est que cette chute infinitement renouvelée, une mer de chutes entre le bois & la cendre …

Estre outre, c'est à dire mort, mais outrepasser … S'en aller plus avant, plus loin, plus vif, plus noir …
Il n'est de chute qu'on ne relève, tombe et retombe encor …
Dans cette humidification de la cendre au sol, là où se voit gésir Céline-dryope, sorte d'abîme enchâssé dans la vie de la mort, une surterraine alchimie nous saisit et nous fige …
Les puissances de la terre et de l'arbre s'enflent & tendent ce corps possédé, démembré, haletant, mu par des forces invisibles et chthoniennes …
Puis des sons s'en échappent, des mots ou ds bribes de mots qui courent, qui nous échinent …
Des phrases entières ciselées comme à la hache de ce corps-parole nous frappent comme des traits ...

Parfois il s'échappe et court, parfois il s'élève puis retombe …
Cela semble venir d'un autre espace, d'autre temps, d'univers parallèles mais enliés …

Lorsqu'il freine, se fige un instant et semble suspendu en ces corridors d'entre-mondes, on perçoit alors distinctement comme des frottis d'élytres, des frémissements cristallins de nébuleuses gelées, quelques diamants stellaires qui se rétractent proches du Zéro absolu … Des vrilles d'éléments rares haubanant des traînes d'astéroïdes de métaux extra terrestres …
Une musique subtile invisible à l'oreille nue, mais qui sous tend et comble la force de la danse dans ses interstices les plus secrets.
Alors cela finit par imprégner le corps même de la Dryope qui s'en nourrit, y plonge quelque aventureuse racine et y puise une sorte de sidérale énergie …

Et quand la vie en sourd, finit par en jaillir, c'est une sorte d'expulsion, d'explosion vitale qui se rétracte comme aspirée par son propre déploiement … Cela s'étire & s'allonge, envahit tout l'espace et envahit le temps … On pressent l'attaque de la nuit … L'ombre s'allonge tandis que la couleur se ternit …

De ce corps maintenant nu on sent émaner puissance, la vitalité, Dryope-Δρυοπη échapperait enfin aux Hamadryades ? …
Mais il s'agit là de bien autre chose, ce corps de danse se doit d'échapper à lui-même, d'échapper à la représentation, au représentable …
Nous ne pouvons que le suivre dans une lente remontée, un longue ascension du vivant vers la lumière …
Nous nous élevons avec lui et disparaissons dans ses mots, dans les textes et dans les cris …
une mémoire millénaire crépite alors en nous et vient témoigner de la futilité du monde.
Le temps s'est arrêté et nous demeurons figés, ficelés dans nos paquets de viande … exsangues …

Voilà … Depuis longtemps, Céline a disparu, portée sans doute par quelque aquilon vers la froide hyperborée ou quelque contrée mythique au delà de nos sens …
Nous refluons, nous nous parlons à nous mêmes en tâchant d'éviter de nous redire, de nous méprendre. Ensemble saisis …

Le bois ignore tout de la cendre, certes,  mais c'est bien entre les deux que crépite insaisissable la flamme de vie …

Claude Parle

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" je ne danse pas j'offre mes os "

Performance solo: Céline Angèle

Mise en scène: Jean Daniel Fricker

Durée: 1h
Le dimanche 30 septembre à 16h, à l'entre lieu , Larchant (77)