2015/06/19

Saturne ne mangera pas ce soir



L’instant. Impossible de le saisir, de le voir, de le garder. Impensable de vivre sans. Il se fait rare, l'instant, dans nos vies organisées. Mais il y a des moments où l'instant nait. Où il n'en finit pas de naître. Des moments où l'espace dépose doucement le temps : clairière brûlée, nénuphar géant.
Le corps se trouve, sur une lande, dans le geste qui dit le souffle. Le temps n'a plus de place il s'enfonce dans la marre aussi sûrement qu'une ombre. Suspension d’une écriture en train de se faire. « Ça » se construit là, non plus sous notre regard, mais en nous. Nous ne voyons pas, nous sommes le geste autant que l’étang, aussi sûrement que la roche. « Ça » bouge, « ça » travaille en nous. L’écriture s’immisce dans toute la fragilité du devenir sans cesse. Il n’y a pas de saisi possible, un geste en chasse un autre mais ce n’est pas le temps qui s’inscrit ici, c’est l’espace d’être. Être et devenir l’enfant terrible de Saturne.
Saturne ne mangera pas ce soir : nous sommes. Tout est. Le chant de l'oiseau et le cri du vent dans les arbres. La trace dans l'eau et la pierre rouge de l'orage. Il n'y a pas d'autres histoires. Il n'y a plus d'histoires, le présent est éternel et le dire l'annule.
Le monde ne peut qu'exister, nous le vivons alors comme l'évidence des soirs des jours. Ni l'image ni le mot ne disent cet instant là. Ils le bordent seulement dans le plaisir du souvenir.



Emilie Houssa



( Après les performances du 14 juin )

2015/06/13

Pour Céline et Jean Daniel

          



                                                                Pour Céline et Jean Daniel




You were once wild here.
Don’t let them tame you.

Isadora Duncan




Heures muettes habitées par l’intensité de leur présence. De mots les corps s’animent.

Laisser le regard transpercer le visible. Aller au-delà. Voir avec les émotions. Se laisser happer par les gestes et flotter, là, à la lisière du conscient. Sentir soudain, engourdie, la sensation tangible d’une présence invisible.

Doux fracas sur les feuilles humides. Le tronc cathédrale expulse dans un éclat sourd.

Le corps se meut, explorant à tâtons chaque déploiement, chaque mouvement, guidé par une mémoire amnésique. Apprivoiser ce corps tout en le laissant libre de s’exprimer. Parfois répéter, refaire, s’approprier. Entrer dans le geste, anticiper puis se laisser surprendre par sa candeur sauvage.

Ondes du vent, bruissement des feuilles, grincement des branches.

Habiter son corps, tomber, recommencer, choisir la vie.

Naître, n’être qu’un-e, être tout.




                                   Marie-Laure Allain Bonilla



( Après les performances du 31 mai )

2015/06/12

du langage à l’état naissant


(...) ils sont du langage à l’état naissant, le monde y apparaît comme on ne l’avait jamais vu. Non plus comme un spectacle mais comme cette lumière où les choses n’ont pas encore pris forme, où elles se cherchent, comme les premiers mots au bord du vide de ce qui les appelle.
Oui, les poèmes sont du jour dans le langage. Comme s’il était soudain si usé qu’on voyait à travers. Et ce qu’on voit, on ne le comprend pas. C’est obscur ou éblouissant, ça guette ou ça remue, ça recule ou ça vient –– c’est là,  ça n’y est pas. Tout à la fois. Et c’est pourquoi on ne sait plus où on en est.
Comme les cailloux du Petit Poucet, les poèmes ne sont qu'un peu de clair dans l'ombre de la forêt des jours. Pourtant, ils ne tracent pas comme eux un chemin vers le connu mais vers l'inconnu. Ils n'aident pas à se trouver mais à se perdre.
(...)

Jacques Ancet